mardi 20 novembre 2012

Traditions et légendes de Belgique (6 à suivre).

A Gand on avait autrefois l'habitude de faire des gaufres, et même au béguinage les béguines invitées par leur supérieure se réunissaient devant une grande table chargée de gaufres et de vin [64]. Dans le pays de Limbourg, surtout au plat pays, on fait des gâteaux à l'huile (oliekoeken), des boules à la graisse (smoutbollen), des galettes de sarrasin (boekweitkoeken) et des gaufres (wafelen), et on s'évertue à manger et à boire. La meilleure tonne de bière est entamée, et l'on sert tout ce qui se trouve encore de jambons, de saucissons et de côtelettes dans la maison, valets et fermier, servantes et maîtresse de la maison, tous se mettent ensemble à table et mangent à l'envi pour se préparer aux quarante jours de jeûne [65]. Car « Vastelavondsgezellen zyn Heeren van Kortryk » dit un proverbe flamand, pour exprimer que mardi gras n'est pas de longue durée [66]. Les personnes âgées se contentent d'un repas plus frugal, et vont à l'église pour y assister aux prières de quarante heures qui commencent déjà ce jour-là. Dans quelques localités de la Campine, entre autres à Meerhout, les écoliers faisaient combattre des coqs. Quelques jours auparavant ils allaient de métairie en métairie afin d'obtenir des coqs pour le combat, ce que du reste les fermiers ne leur refusaient jamais. Quiconque prenait part au combat, payait quatre cents au maître d'école qui lui donnait en revanche autant de feuilles de papier que de fois son coq était vainqueur. Celui dont le coq comptait le plus grand nombre de victoires, devenait ri et recevait vingt-quatre feuilles de papier; celui dont le coq restait le dernier dans la lice, devenait « perkhouder » ou tenant, et recevait douze feuilles de papier. Heureux, deux fois heureux était celui qui devenait roi et tenant tout à la fois, car il recevait trente-six feuilles de papier! Les filles de leur côté achetaient une poule, la laissaient courir et la poursuivaient. Celle qui réussissait à l'attraper devenait reine, et ses compagnes la conduisaient solennellement à la maison, où l'on passait le reste de la journée en prenant du café avec du gâteau aux corinthes en dansant et en chantant. En d'autres endroits les filles décapitaient un coq. Mais tous ces jeux ont été interdits par suite de l'inspection des écoles [67]. A Thielt, le mardi gras donne lieu depuis quelques années à un concours de chevaux, ou « paerdenfeest, » qui y attire une grande foule de peuple. Un grand nombre d'idées populaires se rattachent au mardi gras ou vastenavond : Si le mardi gras le temps est beau, les pois réussiront. Si le soleil brille le mardi gras, c'est de bon augure pour le lin, pour les épis de blé et pour le froment. Ce qu'on sème le mardi gras reste longtemps vert. Si le soleil luit de bonne heure, les premières semailles réussiront. Qui boit un verre de lait le mardi gras n'a pas à craindre, pendant l'été, les rayons du soleil; il n'en souffrira nullement. Qui veut rester exempt de fièvre, ne doit pas souper le mardi-gras. Bonne entreprise se commence le mardi gras. Le mardi gras est le jour de fête du millet; il est bon d'en manger une bouillie ce jour. Si les ménagères filent en ce jour, leur récolte de lin ne réussira pas; car ce fou de carnaval ne veut pas voir le rouet [68] * * * 17 février. (Crocus susianus.) Saint Julien; saint Sylvère; saint Sylvain; saint Théodule. Le jour des Cendres s'appelle en flamand « Aschdag, Aschewoensdag ou Kruiskensdag » (jour des cendres, mercredi des cendres ou jour des croix), noms qui tous se rattachent à la cérémonie bien connue de ce jour. A l'origine, on ne distribuait des cendres qu'à ceux qui devaient faire pénitence publique et dont la pénitence commençait encore en ce jour ; car dans tous les temps on s'est servi des cendres comme emblème de la pénitence. Plus tard quelques chrétiens, par humilité et par dévotion, s'adjoignirent aux pénitents pour recevoir aussi les cendres. Enfin en 1091, il fut ordonné par le concile de Benevent, que la distribution des cendres aurait lieu pour tous, afin de rappeler aux fidèles du commencement du temps de la pénitence et de leur enseigner l'humilité. C'est pourquoi, en donnant les cendres, le prêtre dit les paroles sacramentelles : « Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris. » (Souviens-toi, ô homme, que tu n'es que poussière et que tu retourneras en poussière). Pour indiquer avec plus d'insistance le néant du monde et surtout la fragilité des plaisirs, il est de précepte qu'on doit se servir de cendres des rameaux bénits l'année précédente et qui ont signifié par conséquent l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem [69]. En Belgique, où les pratiques de dévotion sont mieux observées qu'ailleurs, les gens vont le matin à l'église pour y recevoir sur le front la marque d'une petite croix noire d'une matière liquide, composée de cendre et d'eau bénites de la main d'un prêtre [70]. Autrefois il y avait des prix destinés aux jeunes filles qui avaient les plus belles croix, et « celle qui sait garder sa petite croix tout entière jusqu'aux Pâques,» disait-on proverbialement au pays de Limbourg, » recevra de monsieur le curé un habit neuf » (die zyn kruisken tot paeschen toe gaef weet te bewaren, zal van mynheer den pastoor een nieuw kleed krygen) [71]. Mais, au sortir de la messe, les classes inférieures, surtout les campagnards, ont coutume d'employer le jour qui devrait être voué à la pénitence, à boire dans les cabarets du genièvre et d'autres boissons spiritueuses, en vue de « noyer la petite croix » (het kruisken verdrinken), et les jeunes filles, au lieu de retourner à la maison, attendent leurs amants, à la sortie de l'église pour les accompagner au cabaret. Un usage tout particulier se pratique dans quelques localités du pays de Limbourg, entre autres à Maeseyck. C'est celui qu'on y appelle « heringbeeting, » mordre le hareng. De retour de l'église, on suspend à une certaine hauteur du plancher, au milieu d'une porte ouverte, un hareng, dont il faut arracher un morceau avec les dents en sautant à cloche-pied et les bras serrés contre le corps. Comme le jour des Cendres, à l'égal du vendredi saint, est un grand jour d'abstinence, pendant lequel il est défendu de manger du beurre, de la crème, du fromage et généralement toute sorte de laitage, les fèves blanches et les harengs composent la nourriture principale de la journée. En plusieurs endroits on fait alors de petits pains blancs tout particuliers qui à Anvers s'appellent « wekken, » à Namur « lunettes. » Dans cette dernière ville on se sert de préférence de « mélasse, » espèce d'hydromel. A Diest se tient ce jour-là un marché aux chevaux assez considérable. Cette ville avait, de temps immémorial, le droit d'un marché franc qui se tenait le mercredi de chaque semaine et auquel se rendaient bon nombre de chevaux. Mais au temps des troubles, des guerres de religion, les marchands de chevaux ne vinrent plus à Diest, choisissant d'autres endroits aux environs de la ville pour y vendre leurs chevaux. C'est pourquoi, en 1585, le magistrat de Diest adressa une requête au prince de Parme, et celui-ci renouvela à la ville, par un décret du 23 décembre de la même année, l'ancien droit de tenir comme auparavant le marché franc du mercredi aussi bien que le marché aux chevaux. Ce décret fut confirmé, le 1er mai 1608, par les archiducs Albert et Isabelle, et le 17 juin 1650 par le roi Philippe IV d'Espagne qui donna en outre, le 4 mars 1661, un édit concernant les fraudes des droits d'étape. Le poète P. François Lyftocht, augustin, natif de Diest, nous a laissé une histoire en vers de ce marché aux chevaux dans son ouvrage intitulé « Het tweede deel van den Voor-winckel van Patientie in den droeven tegenspoet » (Cologne, 1681) [72]. Un dicton populaire se rattache au jour des Cendres :» Le mercredi des Cendres le diable poursuit fillettes au bois [73]. » * * *

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire