lundi 9 septembre 2013

(Suite) Le dernier templier par Rudy Cambier

Scène 13 *** On est dans une pénombre épaisse. Quand il entre en 1549, Sidoine se tient prudemment à l'extrémité gauche du plateau. Nostradamus est assis aux trois-quarts vers la droite. (Ou le contraire si vous êtes contrariant.) Nostradamus lit un vieux parchemin et commente pour lui-même. Sidoine va faire l'âne pour avoir du foin. Tout le rôle du mage sera bâti sur La Ronde des Jurons de Brassens : Voici la ronde des jurons Qui chantaient clair, qui dansaient rond Quand les Gaulois De bon aloi Du franc-parler suivaient la loi Jurant par-là Jurant par-ci Jurant à langue raccourcie Comme des grains de chapelet Les joyeux jurons défilaient Tous les morbleus, tous les ventrebleus Les sacrebleus et les cornegidouilles Ainsi, parbleu, que les jarnibleus Et les palsambleus Tous les cristis, les ventres saint-gris Les par ma barbe et les noms d'une pipe Ainsi, pardi, que les sapristis Et les sacristis Sans oublier les jarnicotons Les scrogneugneus et les bigr's et les bougr's Les saperlottes, les cré nom de nom Les pestes, et pouah, diantre, fichtre et foutre Tous les Bon Dieu Tous les vertudieux Tonnerr' de Brest et saperlipopette Ainsi, pardieu, que les jarnidieux Et les pasquedieux Le morceau d'entrée se joue à mi-voix. Le diagnostic de Nostradamus se fera sur le canevas de la chanson du comique troupier Ouvrard "Je n’suis pas bien portant" (J'ai la rate qui se dilate, J'ai le foie qu'est pas droit, …et les côtes bien trop hautes, etc.) Quant au langage de Nostradamus, le français de Marseille, je me suis reporté à diverses études de philologues marseillais. * * * On entend Nostradamus marmonner avé l’assen pendant tout le trialogue des arrivants. Il s’arrête quand Sidoine l’apostrophe. Nostradamus Combien de fois prinse Cite solaire Seras changeant tes loix barbares et vaines Ton mal sapproche. Plus sera tributaire La grand Hadrie recouvrira tes veines Qué pastis ! Julien Paulus le Sage avait raison : on n'a pas changé de lieu, c'est le mur de l'Abbaye. Sidoine Ça fait tout drôle de penser qu'ils sont ici et qu'on ne les voit pas. Julien Là ! Près de la porte. Y a quelqu'un. Sidoine Oufti ! Qu'est-ce que c'est d'çaaaa ? Éliabel Qu'est-ce qu'il fait ? On dirait qu'il lit. Julien Tu as vu ses loques ? Éliabel Oui. Et son chapeau ! Julien Et ses souliers ! Éliabel Et il a une barbe de chèvre ! Julien Mêêêê. Éliabel Chûûût ! Tais-toi. Frère Sidoine, qu'est-ce que c'est ? Sidoine À mon idée, c'est un fou qui prend l'air. Julien Tu crois ? Sidoine Ou si c'est ça la mode de ce temps-ci, c'est qu’ils sont tous devenus zinzins. Julien Et sa façon de prononcer ! Je n'ai jamais entendu parler comme ça. Sidoine C'est l'accent du Midi. Julien Comment se fait-il qu'on l'entende si loin dans le Nord ? Sidoine C'est peut-être qu'il fait plus chaud à cette époque-ci. Julien Si on savait déjà à quelle époque nous sommes. Éliabel Nous ne savons même pas dans quelle direction nous sommes allés : vers le passé ou vers le futur. Julien Tu penses qu'il y a du danger. Sidoine En tous cas il n'est pas armé, c'est déjà ça ! Julien Tu oserais aller lui parler ? Sidoine Je ne sais pas de trop. J'aurais quand même dû prendre mon goedendag avec. Éliabel On pourrait attendre d'en voir un deuxième. Peut-être que celui-là sera normal. En fin de compte, celui-ci est peut-être tout simplement un fou. Julien N'oublions pas l'essentiel : nous devons trouver un médecin pour Éliabel et pour le reste, on verra : ce n'est que du détail. Sidoine Bon, il faut bien qu'on décide quelque chose. J'y vais. Sidoine seul vient vers Nostradamus. Les deux jeunes s'approcheront très progressivement pendant que se déroule le dialogue Sidoine – Nostradamus. Sidoine Humhum. Hé, Monsieur ! Nostradamus avé l'assen Hein ! Quoiquoiquoi ? On a parlé ? Qui parle ? Morbleu ! C’est toi, drôle ? Ho ! qu'est-ce que tu portes là comme vêture ? C'est un vieux machin de moine. Hé bé ! Tu vas à carnaval ? Sidoine Ben Monseigneur, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a, comme dit le père Yves. Nostradamus Ton papa y s'appelle Yves ? Il est Breton ? Tous les Yves sont bretons, hein ! Sidoine Non hé ! Mon père Yves n'est pas mon papa et Yves n'est pas Breton, il est de Lessines. Nostradamus Hein ? Tu as parlé de ton père Yves et il est pas ton papa ! Tu galèjes peut-être ? Tu serais pas un malparlant des fois ? Me mal parler à moi, tu oserais pas, hein ! Et puis, baste, que veux-tu ? Sidoine Monseigneur, si c'était un effet de vot' bonté de m'dire l'année que nous sommes. Aujourd'hui. Nostradamus incrédule (On va, avec le temps, placer un par un et dans l'ordre, tout le refrain de la Ronde des Jurons de Brassens.) Te dire l'année où présentement nous sommes ? Ventrebleu, mais tu te moques de moi ! Qué impertinence ! En aparté : qué sagouin ! Et pourquoi sacrebleu devrais-je te dire le numéro de cette année ? Sidoine C'est que, Monseigneur, ça m'accommoderait bien si vot' charité faisait que vous me disiez en quelle année on est. Aujourd'hui. Nostradamus Aujourd'hui, aujourd'hui ! Espèce de cornegidouille, les années changent pas tous les jours que diable ! Sidoine Oh, ça va parfois plus vite que ça ! Nostradamus Plus vite que ça ? Ah, n'énerve pas mes nerfs ! Et d'abord, appelle-moi Maître, parbleu ! Sidoine Ah ! Enchanté Maître Parbleu. Moi, c'est Sidoine. Nostradamus Sidoine ! Il ricane. Sidoine ! Ton père, il avait sifflé combien de pastis avant de te porter à baptême ? Sidoine ! Peuchère. Oh ! Sidoine ! Sidoine ! Sidoine n'apprécie pas du tout Sidoine Ben moi j'voulais juste vous d'mander l'année qu'on est aujourd'hui, Maître Parbleu. Nostradamus Jarnibleu ! Te voilà de retour avec tes rascasses de qué année qu'on est. Tu commences à énerver mes nerfs ! Nous sommes en 1544, tu le sais bien, pôvre couillon. Sidoine En 1544 ! Oufti! … Avant ou après Jésus-Christ ? Nostradamus Comment ça, avant ou après Jésus-Christ ? Sidoine Ben oui. Pour nous ça a une certaine importance… Nostradamus Alors, mon beau, j'ai déjà croisé des niquedouilles, mais des de ton acabite, jamais ! Sidoine Je m'escuse de vous demander pardon si j'insiste, Maître Parbleu, mais … avant ou après ? Nostradamus Avant ou après quoi ? Sidoine Avant ou après Jésus-Christ. Nostradamus Encore ! Oh bonne mère, c'est pas Dieu possible ! Cristi, que ce faquin m'escagasse ! Nous sommes en l'an 1544 de l'Incarnation de Notre Seigneur. Na ! Tu respires mieux ? Sidoine Ah ! Donc c'est après. Alors c'est bon. Nostradamus Ventre saint-gris ! Vas-tu me dire qu'est-ce qui est après quoi et qu'est-ce qui est bon ? Sidoine Je dis, Maître Parbleu, que 1544 après, c'est après 1329 après, donc c'est bon. Nostradamus Par ma barbe, même les Parisiens y sont pas si cons. Celui-ci, il l'est tellement qu'il me fait peine … Sidoine Je vous remercie beaucoup, Maître Parbleu, et vu que vous êtes de si agréable commerce, … Nostradamus Commerce ? J'achète rien. Sidoine Mais je ne vends rien, Maître Parbleu. Nostradamus Ah tant mieux, parce que j'achète jamais rien. Sauf quand je peux y gagner bien sûr. Sidoine Non, je voulais juste, avec votre permission, Maître Parbleu, vous demander … Nostradamus Mais sacré nom d'une pipe, c'est un tic ? Pourquoi tu répètes sans arrêt parbleu ? Sidoine Ben, parce que c'est votre nom tiens. Nostradamus Comment ça, parbleu c'est mon nom ? Qui t'a soufflé cette galéjade ? Sidoine Qui m'a soufflé ? Mais c'est vous. Nostradamus Moi ? Sidoine Oui ! Vous. Nostradamus Moi je t'ai dit que mon nom est parbleu ? Sidoine Sûr ça ! Nostradamus Sapristi ! Tu dis que moi, je t'ai dit, moi, que mon nom à moi c'est parbleu ? Sidoine Vous avez dit : "Appelle-moi Maître Parbleu". Nostradamus Hein ? Mais jamais de la vie que j'ai sorti cette couillonnade. Sidoine Si ! Vous avez dit "Appelle-moi Maître Parbleu". Nostradamus Jarnicoton ! Mais je t'ai jamais dit "Appelle-moi Maître Parbleu" ! J'ai peut-être, espèce de scrogneugneu, j'ai peut-être, j'ai très peut-être dit "Appelle-moi Maître – virgule – parbleu – point d'exclamation. Sidoine Oufti ! Ça c't'un nom à rallonges et à ridelles, hein ! Maître Virgule Parbleu Point d'Exclamation ! Vous le vendriez au kilomètre que ça vous ferait une belle étrenne. J’ai plus trop d’mémoire, alors avec votre permission et sauf votre respect j’vous appellerai seulement Maître Virgule. Nostradamus Oh la bestiasse ! Tu es fada peut-être ? Sidoine Fada ? Je ne sais pas trop, Maître Virgule. Fada, ça serait comme qui dirait con ? Alors sûrement un tout p'tit tout p'tit peu vu que je suis frère con-vers. Nostradamus Bigre ! Tu es convers. Ici ? à l'abbaye ? Sidoine Oui hé, sans doute. Peut-être même probablement, Maître Virgule. Nostradamus Il y a longtemps que tu es convers ici ? Sidoine avec gestes (comme d'habitude) S'il y a longtemps ? Oufti ! Nostradamus Tu as toujours été ici convers. Sidoine Non hé ! Avant de venir chez les Cisterciens, j’ai été à l’armée, mais mes parents avaient d'abord essayé de me donner aux Bénédictins où je serais devenu frère lai. Mais figurez-vous qu'ils ont dit que je n'étais pas assez beau pour être frère lai. Ne pouvant être lai, je suis devenu valet, valet d'Yves de Lessines. Puis seulement, je suis venu ici, comme frère convers. Ce qui me plaît assez, vu qu'il vaut beaucoup mieux être convers que le contraire. Nostradamus Dis-moi, bougre, qu'est-ce que c'est le contraire de convers ? Sidoine C'est vertcon, donc quand on a à la fois votre couleur et votre intelligence, Maître Virgule. Nostradamus Saperlotte ! Je comprends pas trop mais est-ce que ça serait-y pas une grossièreté ? Et puis tu énerves mes nerfs. Si tu me sers encore une seule fois, une seule petite fois, une très seule très petite fois du Maître Virgule, je t'étripatouille, coquin de sort. Sidoine Qu'est-ce que je dois dire alors ? Nostradamus Tu dis Maître tout court. Sidoine Ah bon. Je dirai Maître Tout Court. Y a pas à dire, mais Tout Court, c'est un drôle de nom pour un maître et à mon idée, c'est pas mieux que Virgule ou Parbleu. Nostradamus Rrrrrrrrrr ! Oh le Jocrisse. Je ne m’appelle pas Tout Court ! Je répète lentement : quand tu m'adresses la parole, tu dis "Maître". Sidoine Maître ? Nostradamus Maître ! Sidoine Maître. Nostradamus Maître. Sidoine Maître. Maître. Maître tout court quoi. Nostradamus Ouiiiiihhhh. Sidoine Mais vous avez bien un nom, Maître ? Nostradamus Je m'appelle Nostradamus. Sidoine Hein ? Nostradamus Nostradamus. Sidoine Nos-tra-da-mus. Nostradamus ! Nostradamus Qu'est-ce qu'il y a ? Il y a quèque chose qui va pas ? Sidoine Vous vous appelez vraiment Nostradamus ? Nostradamus Je vois pas ce que ça a d'hilarant. Sidoine Mais c'est un nom pour un mulet, sauf que je n'oserais jamais appeler mon mulet Nostradamus, des fois qu'il me mordrait parce qu'il se sentirait vexé. Nostradamus Cré nom de nom ! Oh putanasse ! Espèce de malparlant, là tu me manques gravement hein ! à mi-voix La peste soit de ce jobastre qui énerve mes nerfs ! Il se rassied et se met à lire le parchemin Mais ça alors, qu'est-ce que c'est ? C'est sûrement une prophétie vu que tous les verbes sont au futur et une prophétie, ça peut se vendre. Bon prix. … Et seront face de leurs manteaux couverts La republique par gens nouveaux vexee Les blancs et rouges jugeront a lenvers Éliabel qui s'est avancée avec Julien Mais c'est le poème du père Yves que vous lisez là. Nostradamus Qui ça ? Sidoine L’abbé de Cambron. Nostradamus Un moine ? Un abbé ! Vous le connaissez ? Il est ici ? A Cambronne ? Sidoine Oui, mais à c't'heure il doit être dans la terre de Cambron. Il est sans doute mort. Nostradamus Ah Bon ! Il est mort. J'ai pas entendu dire que l'abbé était à l'agonie. Sidoine C'était il y a longtemps. Nostradamus Ah ! Donc il est vraiment fort mort. Sidoine Ben quand on est mort, c'est presque jamais à l'essai. Nostradamus Il y a combien de temps ? Sidoine Oh, ça devrait déjà être une bien vieille affaire à c't'heure. Nostradamus Il y a combien de temps ? Sidoine Oh ffff y a bien … attendez que je compte … y a bien… Les jeunes lui soufflent peu discrètement Au moins 210 ans. Sidoine discrètement aux jeunes Hein ? Nostradamus Réponds ! Depuis combien d'années est-il mort ? Pour moi, ça a une certaine importance. Sidoine entre les dents Oh ffff y a bien … z'ans… Les jeunes soufflent 210 ans Sidoine aux jeunes Hein ? Nostradamus Réponds clairement ! Sidoine Comme qui dirait 210 ans. Nostradamus Hé bé … Il y a plus de 200 ans qu’il est mort … très bien ! Très intéressant ! Y a plus de droits à payer. Une minute. Je me souviens que tu m'avais parlé d'un autre père Yves. Sidoine Non, c'est le même. Nostradamus Ah ! J'avais cru comprendre que tu l'avais connu. Oh Peuchère, comme on peut se tromper … Sidoine À propos, vous ne sauriez pas par hasard où on trouve un médecin par ici ? Nostradamus Un médicin ? Sidoine Oui, un médecin, un soigneur de malades. Nostradamus Toi tu cherches un médicin ? Sidoine Oui. Nostradamus Pour quoi faire ? Sidoine Pour guérir quelqu'un, tiens ! Vous en connaîtriez pas un ? Un moderne. Nostradamus Té, JE suis médicin. Sidoine Vous, vous êtes médecin ? Alleyalley ! Si vous êtes médecin, moi je veux bien devenir l'âne d'une maquerelle. Nostradamus Je suis le plus grand médicin du monde. Sidoine C'est difficile à croire. Le plus grand médecin … oufti ! Ça, ça serait un coup de chance ! Vous êtes sûr ? Nostradamus Té, je suis docteur en médicine. Sidoine Je veux bien, mais ça c'est ce que vous marquez sur votre carte et ça ne veut rien dire. Figurez-vous justement que j'avais une sœur putain et elle avait marqué sur sa porte SASU : Service d'Assistance Sexuelle Urgente. Elle faisait pas la racole, elle était urgentiste au SASU qu'elle disait. Nostradamus Tonnerre de Brest, n'énerve pas mes nerfs avec tes galéjades. Demandez-vous une consultation oui ou non ? Sidoine Nous on ne cherche pas un docteur qui consulte mais un médecin qui guérit. Nostradamus C'est la même chose. Sidoine Ah ? Mais si c'est la même chose, pourquoi vous dites autrement alors ? Nostradamus Parce que c'est pas le même prix. Un rebouteux donne pas de consultation et c’est pour ça qu’il guérit à bon marché. Sidoine Ouais, encore un truc d'intellectuel ! Oui ou non, est-ce que vous soignez les gens ? Nostradamus Parfois. Sidoine Et vous soignez ceux qui toussent ? Nostradamus Aussi. Sidoine Et vous en guérissez ? Nostradamus Tous toujours. Sidoine Vous guérissez toujours touss ceux qui toussent ? Nostradamus Tous. Sidoine en aparté aux jeunes Y m’paraît pas très catholique, mais ne dit-on pas qu’un médecin qui n’a pas l’air un peu con n’est pas un bon médecin ? Celui-ci a reçu plus que sa dose, mais c’est pt’être une garantie. On pourrait l’essayer. On verra bien … À Nostradamus Est-ce que vous voulez soigner Éliabel ? Nostradamus Elle est malade ? Oh la pauvrette ! Et le jeune, il est aussi malade ? Parce que je fais un prix par quantité. Sidoine Oh non, lui il a une santé de fer. Nostradamus C'est dommage ! À Sidoine Et vous, vous êtes aussi malade ? Sidoine Ben … non. Mais c'est assez dire que de temps en temps, j'ai mal à la jambe gauche. Voyez-vous, dans le temps … Julien Mais Éliabel, Monsieur le Docteur, est-ce que vous voulez la soigner ? Nostradamus Pardieu ! Si je veux ? Un peu que je veux ! Tout de suite, sans délai et sur-le-champ. Et pour mes honoraires, à payer d'avance bien entendu, je vous demanderai … je vous demanderai seulement … Vous avez de l'argent pour me payer au moins ? Sidoine prend un air absent + mimiques éventuelles. Nostradamus de plus en plus fort Est-ce que vous avez de l'argent ? Je vous demande si vous avez de l'argent ? Est-ce que vous avez de l'argent pour me payer ? Vous êtes sourd ? Sidoine Moi ? Non. Quoique … Nostradamus Quoique quoi ? Sidoine Quoique j'avais un oncle dur d'oreille qu'on appelait Tonton Oreille de Béton. Nostradamus M’en fouti ! Je répète : est-ce que vous avez de l'argent pour me payer ? Sidoine De l'argent ? Nostradamus Oui, de l'argent. Money. Moneymoney. Sidoine Ahahah ! De l'argent … C'est assez dire … Nostradamus Soyez clair, répondez par oui ou par non. Sidoine Non. Nostradamus Vous avez pas d'argent ? Sidoine Non. Nostradamus Non ? Sidoine Non. Nostradamus Non ? Sidoine Non. Nostradamus en aparté Cré vingt dieux ! Ahahahah, je l'aurais deviné ! Pas en aparté. Ainsi, vous avez pas d'argent. Sidoine Non. Nostradamus en aparté Pas d'argent ! Jarnidieu ! Ils ont pas d'argent. Pasquedieux ! (Le dernier mot est dit un peu trop fort) Sidoine Pasquedieux ? Pasquedieux ! Espèce de diseur de messes basses et de pasquedieux ! Je vais vous en donner, moi, des pasquedieux, godvlaamsmilliardsdenomded'jû. Nostradamus regarde Sidoine bouche bée Hââââ ! Mais c'est un cri de bête ça ! Sidoine Ça c'est pasquedieux dit en flamando-picard. Nostradamus Hé bé ! Mais vous avez toujours pas d'argent. Vous savez pas que sans argent, on meurt? Julien Vous allez la laisser mourir ? Nostradamus Té, si elle a pas d'argent … Julien En somme, c'est la bourse ou la vie. Vous n'êtes qu'un voleur qui a des manières. Nostradamus Hé jeune, çui qui a rien à donner y a rien à recevoir. Quand vous avez pas d'argent, est-ce que le boulanger vous donne du pain, est-ce que le boucher vous sert un beau gros rôt, est-ce que vous trouvez à vous loger au chaud et si vous avez pas d'argent, le receveur des impôts est-il pas toujours le premier à vendre vos meubles et vous jette-t-il pas à la rue ? Julien Cherchons un vrai médecin et à ce conférencier-ci disons le mot de Cambron. Nostradamus avé l'assen, hein ! Cambronne, c'est ici. Ça c'est l'abbaye de Cambronne. C'est quoi le mot de Cambronne ? Julien C'est ce que vous êtes et ça a l'odeur que vous flairez, Maître Nostradamus. Nostradamus Est-ce que c'est encore une grossièreté ? Les pauvres ont pas le droit d'être grossiers. Julien Mais vous avez le droit de les laisser mourir. Nostradamus Hé, il faut de l'argent pour vivre ! Julien Donc le médecin laisse crever ceux qui n'ont pas d'argent. Nostradamus Té, le médicin lui aussi doit vivre. Qu'on lui assure d'abord une vie décente, et alors on sera en position d'exiger. Sidoine Eh bien, c'est comme ça : nous n'avons pas d'argent. Éliabel Julien, Frère Sidoine, laissez tomber. On trouvera mieux plus loin. Sidoine On dit que celui-ci est le meilleur. Éliabel Oui, mais qui le dit ? Sidoine D'accord, c’est lui qui le dit. On cherche ailleurs en espérant que le prochain exerce gratuitement, comme de notre temps à l’abbaye. Mais dites-moi, Maître Nostraaaa, est-ce que faute d'argent, de l'or ne pourrait pas faire l'affaire des fois ? Nostradamus Hein ? Sidoine Je demandais si faute d'argent de l'or ne pourrait pas aussi bien faire l'affaire ? Nostradamus Pardon ? Sidoine criant Ho ! Oreille de béton ! J'ai dit : de l'or. Nostradamus De l'or ? Vous avez de l'or ? Vous ? Montrez ! Sidoine tend un hyperpère ou besant. Nostradamus le prend. Il le gardera en main et plus tard, subrepticement pour ses interlocuteurs mais en prenant bien soin d'être vu des spectateurs, il l'empochera. Nostradamus Oh Bonne mère ! Qu'est-ce que c'est de ça ? Jamais vu une pièce semblable. Il la frotte, la soupèse, la mord, la réexamine. Mais c'est de l'or. Ah oui, sûr ça, c'est de l'or ! D'où ça peut bien venir ? Sidoine De loin. Nostradamus D'Amérique ? Sidoine Hein ? D'amer quoi ? Amer ? Je ne sais pas. J'ai jamais eu l'idée de manger des pièces d'or ! Nostradamus Baste. Tu en as d'autres ? Sidoine Hh Hh Nostradamus Beaucoup d'or ? Sidoine Mhhh Nostradamus Beaucoupbeaucoup ? Sidoine Mhmh Nostradamus Très beaucoup ? Sidoine Mhmh Nostradamus Vraiment très beaucoup ? Sidoine Mhmh Nostradamus Donc tu me le donnes et je guéris. Coquin de sort, je me languis de le voir et de l'avoir ! Jusqu'ici, l'intonation de Nostradamus a crû de conserve avec son avidité. À partir d'ici, nous irons sur le mode descendant. Aux gestes de Nostradamus, Sidoine répond en marmonnant et en niant presque imperceptiblement du chef. Nostradamus Tu en as donc un très gros tas ! Grand geste des deux bras. Sidoine Nnnn. Nostradamus Non ? Un gros tas alors. Gestes plus limités. Ils iront décroissant. Sidoine Nnnn. Nostradamus Non ? Un tas ? Oui, un tas. Sidoine Nnnn. Nostradamus Ah non ? Un gros paquet. Sidoine Nnnn. Nostradamus Tu serais pas avare des fois ? Tu en as un paquet quand même, hein ? Sidoine Mmmmouais. Un paquet ? Ouais, on peut mettre mon or dans un paquet. Nostradamus Je le savais ! Donne. Sidoine Vous d'abord. Nostradamus Ah non ! On paye d'abord. Sidoine Vous d'abord. Nostradamus C’est pas la coutume. Sidoine Vu que c'est moi qui ai l'or, c'est moi la coutume. Nostradamus Comment je peux savoir que tu payeras ? Sidoine Eh bien je vous propose un marché, à prendre ou à laisser. Nostradamus Un marché. Qué marché ? Sidoine Voici une malade et vous avez déjà empoché un échantillon de l'or. Vous soignez la malade, je vous laisse l'échantillon et je vous donne tout l'or que je possède. Nostradamus Je soigne la malade et tu me donnes tout l'or que tu as ? Sidoine Oui. Nostradamus Répète un peu pour voir. Sidoine Vous soignez la malade et je vous donne tout l'or que je possède. Nostradamus Je soigne la malade et tu me donnes tout l'or que tu possèdes ? Sidoine Oui. Nostradamus Tu le jures ? Sidoine Je le jure. Nostradamus éclate de joie Oh coquin de sort ! Mademoiselle, oh mademoiselle ma donzelle ! Ohohohoh mademoiselle ma doucette ! C'est magnifique ! Ohohohoh Mademoiselle ! C’est merveilleux. C'est miraculeux. Mademoiselle, tu es sauvée ! Garanti. Oh que je suis content, que je suis contentcontentcontent ! Sidoine Et je suis bien content que vous êtes content. Nostradamus Et moi donc, je suis bien content d'être content. Je savais que je te sauverais. Tu vivras jusqu'à nonante ans, garanti. Nonante ans. Au moins. Au grand moins. Sisisisisisi ! Viens donc là ma galine, que je t'èzamine. Nostradamus tourne autour d'Éliabel et se fait doctoral Hé bé ! Un cas intéressant, ma foi. Je dirais même plus : un cas très intéressant. Un cas pas encore désespéré mais déjà intéressant. Presque désespéré. Tout à fait désespéré sans le docteur Nostradamus. Voyez Messieurs : Il montre comme s’il faisait une leçon d’anatomie Elle a la rate qui se dilate. Et le foie qu'est pas droit. Elle a le ventre qui se rentre. Et le pylore qui se colore. Elle a l'estomac bien trop bas. Et les côtes bien trop hautes. Elle a les reins bien trop fins. Et les boyaux bien trop gros. Elle a le cœur en largeur. Et les poumons tout en long. Elle… Sidoine Eh ben là, j'comprends qu'elle est un peu patraque. Éliabel tousse. Nostradamus Tiens ! tu tousses ma galine ? Éliabel Oui. Nostradamus Oh Peuchère ! Tousse donc pour moi. Éliabel tousse Nostradamus Retousse donc que j'écoute. Éliabel tousse Nostradamus Ouh là là ! Ouh là là là là . Vous avez entendu ? Elle tousse bref et rêche. C'est mauvais ça. Très mauvais. Julien Pourquoi ? Nostradamus Parce que la tousse brève et rêche sèche la bronchorrhée revêche tandis que la tousse douce pousse la mousse hors d’un trop long poumon. Sidoine Hein ? Julien Et c'est la tousse douce qui guérit la tuberculose ? Nostradamus Tuberculose ? Oh jeune, qué tuberculose ? Julien Oui, la phtisie. Nostradamus La pôvrette, elle a pas la phtisie. Julien et Sidoine s’écrient ensemble Elle n'a pas la phtisie ? Nostradamus Non. Julien Quelle est sa maladie alors ? Nostradamus Mais la peste bien entendu. Explosion générale La peste ! Nostradamus Oui, la peste. Lamentations et jérémiades à l'appréciation La peste ! La peste ! Éliabel La peste ! Et tout ce voyage pour rien ! Nostradamus Bon, on s'énerve pas. On s'énerve pas ! Moi, le grand Nostradamus, moi, moi je guéris la peste. Sidoine sidéré Sans blague ! Julien aussi Comment vous faites ? Nostradamus J'ai inventé un remède. Sidoine C'est vrai ? Nostradamus Assolument. Sidoine Eh bien alors, vous êtes vraiment le plus grand médecin de tous les temps et je m'escuse de vous demander pardon, mais à vous voir, je l'aurais jamais deviné. Mais vous l'êtes. Nostradamus N'est-ce pas ? Sidoine Ah oui, je me rescuse. Nostradamus Baste ! C'est rien. Sidoine Ah si, et je me rerescuse. Julien Mais je croyais que de la peste on mourait en trois jours Nostradamus Ceci est une peste spéciale dont on meurt en trois mois Julien Mais ça fait plus d'un an qu'elle est malade ! Nostradamus Un temps de réflexion puis : … une peste spéciale dont on meurt en trois mois à moins que, allais-je ajouter quand tu m'as si malpoliment interrompu, jeune homme, à moins qu'il s'agisse de cette peste extrêmement spéciale dont on meurt en trois ans. Il se tourne vers Éliabel et débite sur le ton atone de la récitation d'un boniment Je vais t'ordonner ma pastille de senteur de parfaite bonté et excellence qui est une odeur non estrange, mais rend une suavité agréable et de longue durée et qu'est fort souveraine pour la peste. Il se tourne vers Sidoine Nostradamus Et toi, ta jambe ? Sidoine Oui, quand il va pleuvoir … Nostradamus Je vois je vois je vois. C'est la peste. Sidoine La peste ? Nostradamus Oui pauvre, la peste. Sidoine incrédule La peste à ma jambe parce qu'un jour à la guerre on avait soif, qu’on a essayé de traire une vache dans un pré, qu’elle avait mauvais caractère, que j'ai reçu un coup de corne et que j’ai parfois encore mal quand il va pleuvoir ? Nostradamus qui récite son boniment Oui, c'est la peste. Et je vais t'ordonner ma pastille de senteur de parfaite bonté et excellence qui est une odeur non estrange, mais rend une suavité agréable et de longue durée et qu'est fort souveraine pour la peste. Sidoine Si vous le dites … Et vous êtes bien sûr que c'est la peste ? Nostradamus en tendant à Éliabel et à Sidoine une pastille noire : Bé, je suis le plus grand médicin du monde. Éliabel suce. Sidoine examinant la chose Tiens ! On dirait de la babelutte. Il regarde, il lèche C'est de la babelutte ! C’est de la babelutte qui a un mauvais arrière-goût. Nostradamus Babelutte ? C'est quoi babelutte ? C'est encore une grossièreté sûrement ? De toute manière, quoi que soit la babelutte, ceci est pas de la babelutte vu que c'est ma pastille de senteur de parfaite bonté et excellence qui est une odeur non estrange, mais rend une suavité agréable et de longue durée et qu'est fort souveraine pour la peste. Julien Qu'est-ce qu'il y a dans votre remède ? C'est un secret ? Nostradamus Pas du tout, jeune homme ! Je mets de l'iris de Florence, des roses, des roses beaucoup parce que ça sent bon, du sucre, beaucoup beaucoup de sucre parce que c'est cher, du girofle un peu parce que c'est trop cher et du cyprès… un tout petit petit peu parce que ça fait mourir. Sidoine Oui, à part le cyprès, c'est une des recettes de la babelutte. Du bonbon de bonne femme. J'en ai sucé des paquets et les gens que j'ai connus en ont sucé des quintaux. On dit que c'est bon pour le catarrhe, mais ça ne guérit pas la peste. Ça ne guérit même pas le catarrhe ! C'est de la babelutte quoi ! Nostradamus Alors, Monsieur le demi-moine, sachez que c'est de la babelutte quand c'est fait par les mains d'une femme ignorante, mais quand c'est composé par le plus grand médicin du monde, c'est un remède très extraordinairissime. Sidoine Oufti ! Et quand vous connaissez un vrai remède ordinaire, Mossieu le docteur, vous le vendez combien ? Nostradamus Vous êtes qu'un coquin qui a aucun respect pour les grands savants docteurs en médicine. Sidoine Maintenant que je vous ai tâté sous toutes les coutures, je crois bien que vous êtes docteur en médecine mais je plains la médecine de tout mon cœur et je me demande si elle s'en remettra jamais. Je me demande même si la médecine survivra à votre passage, espèce d'Attila des médecins ! Nostradamus Ça, m’en fouti ! J'ai soigné, paye-moi. Sidoine Je ne devrais pas mais ce qui est dit est dit. Il tend le second besant. Nostradamus le prend et reste le bras tendu. Jeu d'acteurs. Nostradamus Oui, j'attends la suite. Sidoine Quelle suite ? Nostradamus Té ! Le paquet. Sidoine Quel paquet ? Nostradamus LE paquet. Me fais pas languir ! Sidoine Le paquet de quoi ? Nostradamus Le paquet d'or évidemment. Sidoine Quel paquet d'or ? Nostradamus Bé ! celui que tu me dois. Sidoine Je vous dois un paquet d'or ? Première nouvelle ! Nostradamus Oh la crapule ! Tu vas me donner mon paquet, oui ! Sidoine Sûr que non. Nostradamus Sale voleur ! Paye-moi ce que j'ai gagné. Tout de suite ! Sidoine C'est déjà fait et bien au-delà de ce que vous avez mérité. Votre babelutte m'a coûté le prix d’une grosse maison et je ne sais pas comment je payerai le prochain médecin ! Nostradamus Saligaud ! Fumier ! Tu as un paquet d'or et il est à moi. Tu me le dois. Je vais aller chez le juge, je gagnerai, je te ruinerai. Sidoine Vous gagnerez sûrement : vous avez le droit des avocats pour vous et de mon côté il n'y a que la justice. Et je n'ai pas un paquet d'or. Nostradamus Tu as pas ! C’est pas vrai, dis ? Mais c’est pas vrai hein ! Ordure ! Tu as dit que tu avais un paquet d'or et c'est pour ça que j'ai soigné. Sidoine VOUS avez dit que j'avais un paquet d'or. Nostradamus Dégueulasse ! Tu l'as dit, tu l'as dit, tu l'as même juré. Sidoine Non. Nostradamus Si ! Tu as dit, enfoiré, tu as dit que tu avais un tas d'or, et tu as juré de me le donner. Sidoine Non. Nostradamus Tu oses nier ! Oh le putanasse Il ose nier ! Sidoine sur un ton mielleux J'ai dit qu'on pouvait mettre mon or dans un paquet et j'ai juré que je vous donnerais tout l'or que je possédais. Nostradamus stupéfait réalise Oh noum di Diou ! Oh noum di Diou ! Il m'a eu ! Il m'a refait ! Bonne Mère, ce quart de moine m'a retapissé ! Oh la vache ! Le sagouin ! Ce dégénéré, ce paysan belge m'a truandé, moi ! …. Tu m'as refait. Gangster ! Tu m'as arnaqué, moi ! Tu as rapiné mon or, MON or. Voleur ! Tu m'as volé, tu m'as ruiné. J'ai rien. Je suis pauvre. Je suis un pauvre, un pauvre pauvre. Mais ça te portera pas chance. Tu le payeras, tu le payeras cher. Salaud ! Je dirai partout que tu me dois de l'argent, que tu es mangé de dettes et les gens y te cracheront dessus, na ! Sidoine Ah, ça ne rate jamais. Et si on se calmait un brin. Nostradamus Tu disais que tu étais riche, or tu étais qu'un faux riche, donc un malhonnête. Sidoine Et vous, vous êtes honnête ? Nostradamus Bien sûr, je paye ce que je dois. Sidoine Et être honnête, ça se résume à ça d'après vous ? Nostradamus Tout le monde y s'en fouti de la morale. On ne vaut que le poids de son argent. Sidoine Moi je dis que le réclameur doit être honnête avant le payeur. Vous n'avez pas reçu ce que vous voulez mais j'ai payé beaucoup plus que ce que vous valez. De toute manière, c'est un crime d'exiger d'un pauvre plus que ce qu'il possède, quelle qu'en soit la raison : il n'y a donc pas lieu de vous plaindre. Éliabel Cher docteur, à vous entendre, on dirait un oiseleur injuriant l'oiseau qui a réussi à gober l'appât sans se laisser prendre. Nostradamus Ferme-la, espèce de radasse ! Tu crèves sans tarder et c'est bien fait. Tu crois qu'on peut te guérir ? Imbécile ! Quand on est aussi conne que ça, on mérite de crever. Julien Le vrai bonhomme se découvre. C'est un avide et une crapule. Nostradamus Espère un peu toi, prétentieux crétin, et tu goûteras ma vengeance. Julien Je ne vous crains pas. Nostradamus Tais-toi, malparlant ! Coquin de sort ! Me faire détrousser et me faire insulter par un blanc bec, une quinteuse et un vieux con ! Ah, si c'est comme ça dans le Grand Nord, je m'en retourne. Il saisit le manuscrit et commence à s'éloigner. Sidoine Ho ! Vostradamusse… Qu'est-ce que vous allez y faire dans votre Midi ? Nostradamus Bé, médiciner bien entendu. Sidoine Et c'est pour médiciner que vous avez besoin des Centuries du père Yves ? Nostradamus gêné Nnn..non. Bien sûr que non. Sidoine Je m'en serais douté. Et comment ça se fait d’ailleurs que vous ayez pu sortir de la bibliothèque avec un livre. C’est strictement interdit, vous le savez bien. Nostradamus C’est le frère libraire qui me l’a donné à lire. Sidoine Le frère libraire vous l’a donné ? Ça, faudrait que je l’aie vu deux fois pour le croire. Et s’il l’a vraiment fait, il ne sera plus longtemps frère libraire. Nostradamus Écoutez-moi, Monsieur le Convers. J'ai quand même consulté Mademoiselle et chez n'importe quel médicin, ça mérite salaire. Alors, si vous avez pas d'argent, laissez-moi ça. Voyez-vous, Monsieur le Convers, c'est qu'une vieillerie qui vaut pas deux sous à la vente, mais je suis sûr, vraiment sûr, que c'est quéque chose d'important et ici, ça intéresse personne. Les moines d'ici ils disent que c'est des bezingouilles que même un boumian, il en voudrait pas. Sidoine Hein ? Qu'est-ce que vous chantez là ? Les frères disent quoi vous dites ? Bézingouilles ? Qu'est-ce que ça veut dire bézingouilles ? Nostradamus Je dis que les moines de Cambron rient de cette vieille cornichonnerie. Sidoine C'est pas vrai ! Nostradamus Si, c'est vrai. Sidoine Vous mentez ! Nostradamus Je le jure Sidoine Mais c'est pas possible ! Nostradamus C'est le frère libraire lui-même qui me l'a dit en me tendant le livre. Sidoine Hein ! Ça alors ! Une vieille cornichonnerie ! Nom de Dieu ! Une vieille cornichonnerie ! Je leur en foutrai, moi, une vieille cornichonnerie. Bande de cornichons ! Décidément, l'Histoire avance mais les hommes restent cons. Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ? Nostradamus Je te l'ai dit. Moi je sais que c'est quéque chose d'important. J'y comprends rien, mais je sais que c'est important. Je crois que c'est une très grande prophétie. Sidoine Une vieille cornichonnerie ! Ah c’est comme ça ! Une vieille cornichonnerie ? Eh bien écoutez Docteur Nostradamus : si vous promettez d'en faire le meilleur usage, nous, on n'a rien vu. Nostradamus Je te remercie bien. Sidoine Et ainsi vous repartez en Provence ? Nostradamus Sûr ça, et de suite encore ! Sidoine Et qu’est-ce que vous allez y faire ? Nostradamus Bé, je vais médiciner, pardi ! C'est mon métier. Sidoine Médiciner ? Avec la même médecine qu’ici ? Nostradamus Que veux-tu dire ? Il y en a pas d'autre. Sidoine Pas d'autre, en effet. Ce que je me demande, c'est si on a vraiment le droit de faire payer une médecine pareille ? Nostradamus Té ! Et je vivrai de quoi ? gros malin. Sidoine Est-ce que je sais moi ? Faites-vous astrologue, ou prophète. Ça ne vaut pas mieux mais ça fera moins de dégâts. Nostradamus Prophète ! Vous en avez de bonnes ! Sidoine À Paris ça rapporte gros. Nostradamus J’aime pas Paris. Ça pue, et c’est plein d’étrangers et de Parisiens. Ah ! je me languis mon Midi ! Oui, j’y retourne sans traîner, avé le livre. Prophétiser ? Mhhh… sait-on jamais ? Sidoine Va, et bon voyage, avé l'assen et sympathie gran couillon ! Nostradamus saisit son bâton de voyage et s’éloigne. (à suivre)

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